CHAPITRE XV
L’officier regarda Kirtan Loor d’un œil bulbeux malveillant.
— Oui, je vois que vos ordres sont rédigés suivant les règles, mais je n’ai jamais apprécié que les agents de renseignement se mêlent des affaires de la flotte.
— Je comprends votre inquiétude, amiral Devlia, et je vous admire d’avoir repris le service actif. Mais la Sécurité Impériale doit prendre le pas aux moments critiques… Tels que celui-ci, vous en conviendrez.
Le petit homme passa un doigt sur sa moustache grise.
— Tant que nous nous comprenons…
— Bien entendu.
Kirtan se souciait peu des problèmes de l’amiral Devlia. Mais le Vipère Noire était sous sa responsabilité. Quand le croiseur avait rapporté avoir été victime d’une embuscade tendue par l’Escadron Rogue, Kirtan avait voyagé de Coruscant à Vlader, dans le système de Rachuk, afin de parler à Uwlla Iillor, le capitaine du Vipère Noire.
Kirtan se doutait qu’une partie du malaise de Devlia venait de la perspective de devoir s’occuper d’Iillor. Elle faisait partie des femmes sorties du rang afin de boucher les vides laissés par la débâcle d’Endor.
Loor avait hâte de rencontrer le capitaine Iillor. Il avait lu son dossier, celui de Devlia et de la plupart des officiers supérieurs. Le dossier d’Iillor l’intriguait particulièrement, car elle avait commencé son ascension dans les rangs de la flotte avant la mort de l’Empereur, un exploit qui dénotait un caractère particulièrement déterminé.
Devlia se leva.
— Sachez que je vous laisserai seulement poser les questions que j’estime adéquates.
— Bien entendu, monsieur.
Rêve toujours, mon vieux !
L’amiral conduisit Kirtan dans une petite bibliothèque transformée en salle de conférence.
Devlia prit le fauteuil situé en bout de table. Puis il se tourna vers la femme qui attendait au fond de la salle.
— Capitaine Iillor, je vous présente l’agent Kirtan Loor. Il souhaite vous poser quelques questions sur l’embuscade.
— Oui, monsieur. Je vous aiderai si je le peux, agent Loor.
La femme aux cheveux châtains regarda Kirtan sans trahir l’appréhension qu’affichaient généralement les officiers confrontés aux Renseignements.
Loor pensa que sa sérénité venait d’années de service dans la branche NhM – non humaine – de la flotte. L’Empire n’aimait ni les femmes ni les non humains. Iillor avait servi sous l’amiral Thrawn et nombre d’autres officiers supérieurs non-humains. Elle en serait restée là si la défaite d’Endor n’avait pas rendu pressant le besoin d’officiers compétents. Les survivants du commandement de la flotte avaient réévalué le personnel et affecté certains soldats suivant leurs mérites.
— J’en suis persuadé, capitaine. J’aimerais avoir communication de tous les rapports que vous avez écrits sur cette mission, ainsi que les enregistrements holographiques et les interceptions de communication. Avec la permission de l’amiral, bien entendu.
Le vieil homme acquiesça.
— Très bien. Racontez-moi ce qui est arrivé.
— Puis-je m’asseoir ?
— Je vous en prie. Mettez-vous à l’aise, dit Kirtan.
Mais lui resta debout.
— Nous avons été informés qu’un contrebandier qui livre des fournitures aux Rebelles était attendu dans le système de Chorax. J’ai envoyé une navette observer la position du contrebandier, laissant le Vipère Noire sur les franges du système. Quand le Pulsar a fait mine de partir, j’ai effectué un vol hyperspatial et activé mes projecteurs de gravité.
Kirtan fronça les sourcils.
— Un vol hyperspatial intra-système est une manœuvre plutôt inhabituelle, n’est-ce pas ?
— Elle a déjà été utilisée, avec succès. Ça a marché à Chorax. Le Pulsar n’a pas compris d’où nous sortions. Il lui a fallu six secondes pour commencer les manœuvres d’évitement. J’ai tiré plusieurs salves de canons ioniques pendant ce temps. Puis une douzaine d’ailes X sont arrivées.
J’ai déployé mes intercepteurs. Hélas, aucun de mes pilotes n’est de très grande classe. J’ai lancé le Vipère Noire dans la bataille et endommagé une aile X. Mais les autres s’étaient groupées autour du Pulsar et ils ont tiré des volées de torpilles à protons. J’ai perdu mon bouclier avant et deux batteries de laser. Il fallait choisir entre renforcer mes boucliers ou garder opérationnels les projecteurs de gravité. J’ai choisi la première solution et récupéré cinq intercepteurs. Puis je suis passée en vitesse-lumière.
Devlia se pencha.
— Ils attendaient le Vipère Noire. Ils sont sortis de l’hyperespace au-dessus de lui.
— Rien n’indique qu’il s’agissait d’une embuscade, dit Kirtan en se caressant le menton.
— C’est ce que j’ai dit à l’amiral, dit Iillor.
— Vous êtes aveugles, tous les deux !
— Avec tout le respect que je vous dois, monsieur, je pense que votre interprétation est erronée. Les croiseurs de classe Interdicteur sont conçus pour attirer les vaisseaux hors de l’hyperespace. Bien entendu, cela n’est possible que si la trajectoire du navire ennemi est connue. Dans ce cas, comme le Vipère Noire était là pour empêcher un vaisseau d’entrer dans l’hyperespace, vous avez décidé de ne pas tenir compte de la fonction de base des Interdicteurs.
— C’est absurde !
— Réfléchissez, dit Kirtan avec un sourire suffisant. Si vous vouliez tendre une embuscade à un Interdicteur, le feriez-vous avec un escadron d’ailes X ?
— Peut-être pas, dit Devlia, mais j’ai une formation que la plupart des officiers rebelles n’ont pas.
— C’est vrai, monsieur. Cela dit, les Rebelles ont quelques soldats de valeur…
L’allusion aux défaites de Yavin et d’Endor fut parfaitement saisie par l’amiral.
— De plus, continua Kirtan, pourquoi les Rebelles perdraient-ils leur temps à tendre une embuscade à un Interdicteur ? Ce ne sont pas les vaisseaux les plus dangereux pour eux, sauf votre respect, capitaine.
— Je crois que nous avons eu la malchance de faire sortir de l’hyperespace un convoi en route vers un autre système, dit le capitaine. Mais l’amiral trouve la coïncidence peu probable.
Kirtan sourit.
— En dépit de cette erreur de jugement, l’amiral est un combattant assez formidable pour que les Rebelles n’aient pas envie de traîner dans le secteur qu’il commande.
Devlia ouvrit la bouche pour protester contre la première partie de la déclaration de Kirtan. La seconde calma sa vanité blessée, comme Loor en avait eu l’intention.
L’homme referma les mâchoires.
Loor se tourna vers Iillor.
— Comment avez-vous reconnu l’Escadron Rogue ?
— J’ai intercepté des appels utilisant le mot « rogue » comme signal d’identification. Les données visuelles ne sont pas excellentes, mais suffisantes pour reconnaître l’emblème peint sur les stabilisateurs. De plus, le Pulsar est lié à Corellia, comme Antilles, le chef de l’Escadron Rogue. Et les pilotes sont sacrément doués : ils ont eu sept de mes intercepteurs, dont deux abattus par une aile X endommagée.
— Tout cela ne constitue pas une preuve, dit Devlia.
— Peut-être, mais c’est assez troublant, dit Kirtan.
Kirtan doutait qu’une autre unité de la Rébellion utilise ce code d’appel. Il faudrait confirmer les données sur l’emblème. Ce n’était pas une certitude.
Mais un bon début.
— Capitaine, votre navette d’observation est-elle restée dans le système pour enregistrer les vecteurs de direction et la vitesse des ailes X ?
— Non, et j’ai vertement réprimandé le lieutenant Potin de s’être enfui alors qu’il n’était pas menacé. Je possède toutefois les vecteurs et la vélocité d’entrée.
— C’est toujours ça.
— Je m’assurerai que vous receviez les données à temps pour votre retour au Centre Impérial, agent Loor. En supposant que vous en ayez terminé.
— Non. Je veux parler aux pilotes des intercepteurs qui ont combattu les ailes X. Et je souhaite examiner les données provenant des intercepteurs détruits.
— Je vais demander qu’on organise ces entretiens sur-le-champ.
— Prenez votre temps, amiral. D’ici deux ou trois jours, ce sera parfait…
— Vous avez l’intention de rester si longtemps ? fit l’amiral d’une voix aigre.
— Plus que ça, je suppose, dit Kirtan avec un grand sourire. Si l’Escadron Rogue opère dans le secteur, et je pense que c’est le cas, je partirai lorsqu’il sera détruit. Pas une minute plus tôt.